En quittant la Galice et les Asturies et en progressant vers l'est, nous constatons que le trobo continue à être la ruche typique du nord de l'Espagne jusqu'à l'extrémité méridionale de la Cantabria où il est appelé dujo.
Dans cette région, pour éviter une destruction massive des forêts, l'administration fût obligée, il y a quatre siècles, de réglementer la coupe des arbres.
Ainsi en 1618 une ordonnance de Valderredibile rappelait que "personne ne pouvait fabriquer de dujos pour les vendre".
D'autres dispositions concernaient le choix des arbres à abattre comme le rouvre, le pin, l'orme et leur état de croissance comme la hauteur, le diamètre et les conditions du tronc donnant la priorité à des arbres déjà atteints par un début de pourriture (Ordonnances de Valdelomar y Cezara, an 1706).
A cette époque déjà, dans le Haut Ebre, le dujo était utilisé dans deux positions différentes, c'est-à-dire verticalement (dujo de pie) ou horizontalement (dujo tumbado).
Dans cette dernière position, il était dit aussi dujo arabe ou hornillo.
Le nom d'hornillo, qui en espagnol signifie petit four, est dû au fait que les ruches-troncs étaient incorporées dans les murs des maisons auxquels elles donnaient l'aspect des fours caractéristiques utilisés tant en Espagne que dans quelques pays arabes.

Dujos de pie dans un rucher de plein champ
Dessin de Libereso Guglielmi.

Hornillo de dujos tumbados.


Cet usage, probablement introduit par les Maures, assurait une protection contre l'humidité du sol, la chaleur excessive, les tentatives de vol et permettait d'élever les abeilles simplement à l'intérieur des habitations rurales avec la possibilité d'effectuer l'extraction du miel.
Cette méthode d'élevage ne pouvait que porter à une relation d'affection, presque de symbiose, entre l'homme et l'abeille comme nous l'avons relevé en d'autres circonstances examinées plus loin.
Dans les régions de Navarre et de la Rioja, ces ruchers familiers ont amené graduellement à des formes grandioses de véritables maisons destinées à l'élevage exclusif des abeilles.
Cette évolution apparaît aussi dans le nom de ces grands ruchers auxquels ne s'applique plus le joli diminutif d'hornillos mais celui plus pompeux d'hornos.
Nous avons pu visiter et admirer les hornos grâce à la disponibilité de l'ami et collègue Robert Chevet, grand connaisseur de la tradition apicole espagnole qui nous a accompagnés dans une visite très intéressante en Navarre.
Dans cette région, on peut encore voir des ruchers-hornos avec des dujos, probablement utilisés comme éléments de récupération, incorporés dans la façade avec des ruches de section carrée mais en général on a donné la préférence à du matériel de construction plus rapide et de longue conservation.

Desojo : un rucher-hornos.

Ce matériel était constitué de tuyaux en dur construits séparément puis incorporés dans la façade du rucher ou, autre solution, les hornos venaient coulé directement dans les murs en utilisant des moules spéciaux pendant la construction.
La fermeture des hornos était effectuée avec des disques (piellos) de craie, bois ou autre matériel scellés dans leur partie antérieure (laissant un trou d'envol pour les abeilles) et dans la partie postérieure avec possibilité d'enlever temporairement le disque pour effectuer la récolte.

Hornos de Desojo.


Si en Galice et dans les Asturies les cortíños sont très nombreux, en Navarre les hornos ne sont pas absents et parfois ils se trouvent même en péripherié des villages comme dans le cas de Bargotas.
Si chaque règle a ses exceptions, nous pouvons dire que les apiculteurs espagnols, gens dynamiques et inventifs, ont su créer des ruchers vraiment imposants pour donner à leurs abeilles un logement superbe et confortable.
Robert Chevet nous a ainsi montré près de Mendavia un énorme rucher qui s'éloigne du style des hornos de la zone.

Batiment-rucher de Mendavia.

Il s'agit d'une construction qui comporte neuf étages de ruches-placards (petits vides dans l'épaisseur des murs avec une porte à l'intérieur et des "fentes" sur la façade extérieure pour l'entrée et la sortie des abeilles).
Dans plus de cent ruche-placards étaient logées environ quatre ou cinq millions d'abeilles qui devaient créer un fort bourdonnement dans la zone !

"Hornos" de Navarra.

Pendant une de nos sorties solitaires en Espagne, en suivant le conseil des moines du Monastère de Nuestra Señora de Valvanera, nous avons visité une zone de la Rioja où, dans les alentours de la commune d'Arnedo, se trouvent d'anciens ruchers d'une forme particulière.
Dans un lieu-dit Cueva du Cigarillo, nous avons eu la chance de localiser deux grottes partiellement fermées par un mur sur lequel on avait installé des hornos de 100 cm de longueur et 33 cm de diamètre.

Herce (commune de Arnedo) : grotte des abeilles.

 

Herce (commune de Arnedo) : premier plan des hornos.

En continuant les recherches dans cette zone où les hornos sont très nombreux, nous avons rencontré une de ces exceptions aux règles qui peuvent nous désespérer ou nous rendre heureux.
À la sortie de Prejano, presqu'à pic sur un petit cours d'eau, on trouve le rucher dit de Dionisio.
Un grand "immeuble "des abeilles sur deux étages dont la façade, exposée au sud, montre 112 disques qui selon nos observations précédentes, auraient dû indiquer la présence d'autant de ruches-hornos.

Prejano (Rioja) : Colmenar de Dionisio Ochoa Ruiz.

Erreur ! Notre Dionisio devait être un apiculteur qui aimait travailler à sa façon et sans suivre la mode courante !
A l'intérieur, il y avait bien des ruches mais elles n'étaient ni cylindriques ni incorporées dans les murs.
Il s'agissait simplement de ruches horizontales appuyées en correspondance des trous circulaires du mur.
Elles étaient fabriquées en canne et osier entrelacés, recouvertes de bouse de veche pétrie avec de l'argile.
Lors de la visite suivante effectuée dans cette zone avec des membres d'Apistoria (notre Association d'étude et recherches sur l'apiculture traditionnelle), nous avons pu constater combien la Rioja est riche en témoignages d'un grand passé apicole dont les habitants sont très fiers.