Après les grands ruchers du Portugal et de l'Espagne, nous
avons visité les magnifiques appyés des Cévennes avec Gaby
et Nicole Roussel en empruntant
un bout de chemin parcouru en 1878 par le grand écrivain écossais
Robert Louis Stevenson.
Ruche locale
Nous ne pouvons pas parler de l'apiculture vernaculaire des Cévennes
sans décrire la ruche cévenole nommée localement
brusc, brusquet ou brugnon.
Elle a les dimensions moyennes suivantes : hauteur 55/60 cm, diamètre
30 cm, capacité environ 40 litres.
Quoique semblable au trobo d'Espagne, le brusc des Cévennes,
fabriqué d'un tronc de châtaignier, en diffère
par quelques particularités comme le système de fermeture
qui est formé de trois planchettes reposant sur une cannelure
qui se trouve sur le bord intérieur du sommet de la ruche.

Brusc
fermé par trois planchettes.
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Les deux bâtonnets
pour soutenir les rayons.
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La petite planchette centrale est coincée entre les deux sections
latérales en forme de croissant pour obtenir une fermeture hermétique.
Deux bâtonnets parallèles sont insérés dans
la ruche à environ deux tiers de sa hauteur pour assurer la stabilité
des rayons spécialement pendant l'été.
Le brusc, tenu bien ferme et couvert par une plaque d'ardoise
d'environ 70 cm de diamètre, était ouvert seulement deux
fois par an, c'est-à-dire en août pour la récolte
du miel de châtaignier et vers la fin de septembre pour recueillir
le miel de bruyère d'automne (calluna).
Cette plante est localement encore très abondante.
L'ouverture se faisait en ôtant la planchette centrale et, alternativement,
une des deux tablettes à forme de croissant pour ne pas trop
endommager les rayons.
Pour calmer les abeilles on utilisait la fumée produite par le
faillou, une espèce de cylindre végétal, long
40 cm, constitué par un rouleau de paille et foin lié
avec de l'osier.

Apiculteur avec le faillou.
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La récolte des rayons était effectuée avec précaution
et parcimonie.
Le miel récolté à chaque ouverture était
d'environ trois ou quatre kg par brusc et cela explique la grande
quantité de brugnons qui formaient les ruchers cévenoles.
Tout ceci nous a été expliqué par Remy Loriol,
un berger-apiculteur qui vit au Trabassac Haute, un hameau de la commune
de Molezon et que nous avons eu la chance de rencontrer près
de son rucher.
Pour l'anecdote Rémy nous a dit que l'année de sa naissance,
en 1935, son père possédait 650 bruscs qui donnaient
une récolte moyenne de 1500/2000 kg de miel par an.
Les Appyés
des Cévennes
Le rucher peut se trouver près de l'habitation de l'apiculteur
ou très loin et dans ce cas il était entouré d'un
mur de protection.
Parfois le rucher était régi par un contrat de métayage
et le mur était bâti de commun accord entre les parties.
Dans un document notarié de 1621 on peut lire: "Les contractants
sont d'accord pour bâtir ensemble un appyé de brugnons
et pour entourer tel appyé avec un mur".
L'appyé se trouve souvent à l'abri d'une haute paroi rocheuse
(rancarede) et il dispose de nombreuses banquettes en pierre
sur lesquelles se posent en bon ordre les bruscs.
Parfois le mur de protection est de dimensions imposantes et à
l'intérieur de l'appyé se trouve un ciabot
en pierre où se tenaient les outils et se pratiquait l'extraction
du miel.

Trabassac Haute: un appyé.
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A Trabassac-Haute, les trois appyés de la famille Loriol,
même s'ils sont accolés à une paroi rocheuse, ont
beaucoup d'éléments en commun avec ceux que nous avons
vus en Galice et dans le Haut Ebro.
Les murs sont très hauts et sur leur sommet existe un encorbellement
de grandes pierres plates qui se prolongent à l'extérieur
sur 50 ou 60 cm.
A La Roquette, à environ 600 m d'altitude, nous avons visité,
près du Mas Daal, un appyé extraordinaire, dans
une espèce d'amphithéâtre naturel, avec 125 brusc
alignés en bon ordre sur 7 banquettes de pierre.
Quelques ruches occupées par des essaims errants donnaient l'impression
d'un rucher en pleine activité.

La Roquette: l'appyé
du Mas Daal.
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Le rucher vu d'en haut.
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Trois grands ruchers se trouvent près du village de Thines (Ardèche),
aujourd'hui presque désert mais qui conserve une longue tradition
apicole avec des sculptures d'abeilles sur la corniche de l'église
du XIIe siècle et un rayon de miel gravé sur le mausolée
bâti en mémoire des martyrs de la résistance locale.
À 1 km du village, à 700 m d'altitude, se dresse un
rucher majestueux, entouré d'un mur et contenant 150 bruscs alignés
sur 14 banquettes de pierre !
Une maison de campagne, où avait lieu l'extraction du miel, se
trouve presque au milieu de ce rucher où jadis bourdonnaient
des millions d'abeilles.

Thines : Un rucher monumental.
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Thines: autre vue du rucher.
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Cet appyé survit grâce à la constance et
à la passion d'un apiculteur, Jean François Lalfert qui,
jusqu'à récemment, y tenait des causeries et faisait des
démonstrations sur l'apiculture.
En direction opposée au village, près du quartier de la
Belle Rouvière, se trouve un autre grand rucher où l'on
peut admirer plus de 100 bruscs bien alignés sur huit banquettes
de pierre.
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